Contacter Louis Gigout

Gdansk, août


Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
Portail de l'entrée principale des chantiers navals de Gdansk. Drapeau du syndicat Solidarność.


Le symbole est fort. Quelques bouquets de fleurs accrochés aux grilles de la grande porte de l’entrée principale. Devant, au milieu d’un vaste terre-plein, se dressent trois grandes croix d’acier hautes de quarante-huit mètres. Elles portent une ancre crucifiée. Des gerbes sont disposées contre le mur d’enceinte. Certaines sont là depuis longtemps, fleurs fanées pourrissantes ou fleurs artificielles jaunies ; d’autres sont fraîches du matin. Des photographies, des affiches et des tracts sont collés. Ici, un autel a été installé. La flamme des bougies vacille. Il est tôt et une étrange fébrilité règne. Gdansk célèbre le dixième anniversaire du grand syndicat. Les chantiers sont ouverts pour une journée porte ouverte. Et le voyageur qui débarque à cet instant par pur hasard, qui tout d’abord ne comprend pas pourquoi les gerbes de fleurs, les banderoles, l’animation fébrile. Stocznia Gdanska SA, anciennement Chantiers Lénine. La lutte des ouvriers des chantiers navals était devenue la nôtre. Loin des flics de Gomulka, dans notre confort douillet et notre contestation sans risque, nous arborions le même badge qu’eux.



Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
A coté de l'entrée, le monument au morts de Solidarité. "Ils ont donné leur vie afin que vous puissiez vivre dans la dignité".

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
L'entrée des Stocznia Gdańska, autrefois chantiers Lénine.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
Dans les chantiers. Structures.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990



C’est une usine pour Titans, avec des grues immenses qui pivotent en grinçant, des tôles découpées dans des giclées d’étincelles, des carcasses de métal, des bateaux éventrés, un sol huileux, des bruits de forge et des odeurs de garage. Les Géants sont partis. Il ne reste que quelques ouvriers perdus qui marchent lourdement dans les allées obstruées par les flaques de gasoil et qui, m’apercevant, esquissent en souriant le V de la victoire. De nombreux ateliers sont déserts, portes battantes, vitres cassées. Aux murs sont encore suspendus les tableaux de production. Les commanditaires étaient soviétiques et polonais. L’activité ne se focalise plus désormais qu’en de rares endroits. Une équipe opère un paquebot au ventre sectionné. Ils soudent, enduisent, meulent, boulonnent et martèlent. Les projecteurs et les geysers de braises des arcs électriques illuminent les silhouettes des héros du 31 août occupés à domestiquer l’acier. Ainsi naissent les bateaux, dans leur matrice de métal boulonné. Ils se montent avec lenteur et minutie sous la violence des coups de boutoirs et des soudures oxyacéthyléniques. La Baltique n’est pas loin, qu’ils fendront de leur gigantesque étrave sur laquelle subsistent, cachées dans l’épaisseur de la peinture, les initiales des ouvriers.



Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Translubeca, finnlines, Grimaldi, © L. Gigout, 1990
Le ferry Translubeca, des lignes finnoises liées au groupe napolitain Grimaldi.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Academik Glouchko, © L. Gigout, 1990
Ici un bateau russe, l'Academik Glouchko.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Academik Glouchko, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
Ouvriers des chantiers navals.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
En route pour la cérémonie du Dixième anniversaire.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
Sur la tribune, le clergé célèbre la grand messe du souvenir.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, Lech Walesa, © L. Gigout, 1990
Où l'on aperçoit Lech Walesa, pas encore président. (Il le sera de décembre 1990 à décembre 1995.)

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, Lech Walesa, © L. Gigout, 1990
Au premier rang, les officiels dont le futur président, au milieu, qui regarde le photographe.


La foule est rassemblée sur le terre-plein pour assister à une messe célébrée par une brochette d’ecclésiastiques en violet. Lech Walesa est là, central, la moustache frémissante, accompagné par l’état major du syndicat. Un évêque adresse à la foule une homélie vigoureuse. Les applaudissements qui la ponctuent relèvent davantage de la convenance que d’un réel enthousiasme. Dans les propos du prélat reviennent les mots “Polski”, “Gdanska” et “Solidarnošc”. Au sommet du panégyrique en l’honneur du syndicat, l’évêque nomme la star et désigne l’ancien électricien qui osa défier un pouvoir autoritaire que nul avant lui n’avait pu ébranler. Lech Walesa dresse alors son corps massif, se tourne vers la foule et lève deux bras, refaisant avec panache la lettre victorieuse esquissée timidement tout à l’heure par l’ouvrier. La foule applaudit maintenant à tout rompre et les hommes du premier rang ont des sourires crispés.



Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990
Au centre de la foule, le monument aux ouvriers tombés en 1970 en forme de trois grandes croix, chacune portant une ancre.

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990

Gdansk, chantiers navals, Stocznia Gdanska, Solidarnosc, © L. Gigout, 1990


Gdansk, Dlugi Targ, © L. Gigout, 1990
La Dlugi Targ, le "Long marché".

Gdansk, Dlugi Targ, © L. Gigout, 1990
Magasin de cosmétique. Aujourd'hui un des innombrables bars de la Dlugi.

Gdansk, Dlugi Targ, Neptune, © L. Gigout, 1990
Fontaine de Nepture.

Gdansk, Dlugi Targ, Hermès, Dwor Artus, © L. Gigout, 1990
Hermès devant Dwor Artusa, la Maison d'Arthur, le musée historique de la ville.


La salle du restaurant est profonde et les lumières sont tamisées par de lourdes tentures. Une ouverture est ménagée sur la place. Une jeune fille vend de la bière et des cigarettes. Dlugi-Targ est encore déserte. C’est une belle place, bordée d’immeubles hanséatiques mêlant Gothique, Renaissance et Baroque. Ils ont un air de famille avec ceux d’Amsterdam. Le sol pavé descend vers les quais de la Motlawa où sont amarrés quelques bateaux dans l’estuaire de la Vistule. Jadis, s’étendaient ici les bâtiments et les aménagements du port médiéval. Deux lettres m’attendent à la poste restante. Assis sur un muret, je respire l’odeur des enveloppes, palpe leur épaisseur, cherche ce qui se cache dans la calligraphie de l’écriture. Mes inspirées demoiselles m’écrivent des Vosges. J’aime cette phrase : “Je suis allée dehors et j’ai regardé le ciel. Je me suis dit que si tout était plat, je te verrais, je te parlerais. Je te parlerais de n’importe quoi.” Et puis il y a une lettre d’elle. La musique silencieuse de ses mots me rend mélancolique. C’est comme une cicatrice effleurée du doigt. L’absence aiguise le désir. Mais je suis à Gdansk, la vibrante. Il me semble entendre l’écho des grandes manifestations de Solidarnošc et des discours fougueux de Walesa. En retournant dans ma chambre, je m’arrête un instant rue Mariacka. Deux violoncellistes installés sur les marches d’un escalier jouent des sonates de Bromberg. Marii-Panny, les bijouteries regorgent de pierres d’ambre légères dont les couleurs vont du jaune pâle translucide comme un quartier de clémentine au marron profond et opaque du cacao.Ces résines proviennent d’une forêt de conifères du tertiaire située à l’emplacement de la Baltique. Les pêcheurs les ramènent dans leurs filets. Certaines renferment des insectes fossilisés.



Gdansk, rue Mariacka, © L. Gigout, 1990
Contrebassistes rue Mariacka.

Gdansk, pont Zielony, Stara Motlava, brodeuse, © L. Gigout, 1990
Brodeuse sur le pont Zielony sur la Stara Motlava.

Gdansk, Stara Motlava, © L. Gigout, 1990
Stara Motlava.


Je suis revenu dans ce restaurant sombre de la Djuga. Sombre, la Djuga, parce qu’il pleut. Mais le restaurant a sorti ses paillettes et sa boule de cristal. Rosbif, pommes de terre et salade de chou accompagnés les grandes bières Gdanskie et les petits verres de vodka. Un organiste et un percussionniste apathiques jouent des valses molassones. Les danseurs ne manquent pas. De braves gens plus vraiment jeunes et bien secoués par l’alcool. L’un d’eux, un peu déjanté, est venu me tenir compagnie. Il m’offre des cigarettes et moi quelques verres de vodka. Nous les commandons par paire parce que, pour une raison que j’ignore, il n’est pas convenable de commander un seul verre à la fois. « Moya kolejka !... » Nous décidons de resserrer les liens entre nos deux pays. Plus tard, nous descendons en chancelant la Djuga, parlant fort et chantant. Notre trajectoire est incertaine. « Chancelants mais debout ! » s’exclame mon aimable compagnon en se cramponnant à mon épaule. « Mozemy zginac ale nie zlamac ! ». Je suis content d’être un peu gris. Arrivé en bas de la Djuga, éprouvant des difficultés, mon compagnon prend appui un instant contre le parapet du pont Ziélony. C’est alors qu’une jeune femme s’approche. Je la jurerais sortie tout droit de la Série Blême. Un visage dur, parce que la vie est comme ça. Ses lèvres tuméfiées témoignent. Elle parle sèchement. L’homme répond en me désignant d’un geste vague. Il bredouille quelque chose où il est question de “diplomatik” et de “zalani ftrrroupppa”. Les lumières sur les eaux huileuses de la Motlawa ne lui arrangent pas le teint. Je comprends que je ne suis pas le bienvenu, que le canal est une frontière au delà de laquelle il vaut mieux que je ne m’aventure pas. De toute façon, elle ne se montre pas encline aux échanges de vues internationaux. « Do widzenia! do zobaczenia! » Je les salue d’une révérence appuyée et vaguement titubante et entreprends de remonter vaillamment les dalles humides de la Djuga où la fontaine et la tour sont illuminées. Je regagne mon lit en grognant.




Gdansk, plage, © L. Gigout, 1990
La plage de Gdansk.

Gdansk, Westerplatte, © L. Gigout, 1990
Traces sur le sable à Westerplatte.

Gdansk, Westerplatte, © L. Gigout, 1990
Phosphènes.


Westerplatte est une presqu’île adossée à la baie de Gdansk. Il vient juste de s’arrêter de pleuvoir. C’est une lande sauvage de sable et de grandes herbes sèches où l’on accède à l’aide d’un caboteur fatigué qui parcourt l’embouchure de la Vistule. Il y a quelques ateliers qui ne payent pas de mine près desquels n’en finissent pas de pourrir des embarcations gardées par des chiens impatients d’en découdre. Dans la lande, on devine des sentiers. C’est un lieu en jachère, bon pour l’errance et les jeux de piste. On y trouve parfois des traces étranges. Des barrières m’empêchent d’accéder à Falochron Wschodni, une sorte de péninsule étroite qui plonge dans la Baltique et où se trouvent des fortification.




Gdansk, Gdynia, © L. Gigout, 1990
A Gdynia, port de la baie de Gdansk.

Gdansk, Gdynia, Dar Pomorza, Prinzess Eitel Friedrich, © L. Gigout, 1990
Le trois-mâts Dar Pomorza ex Prinzess Eitel Friedrich à Gdynia.

Gdansk, Gdynia, Dar Pomorza, © L. Gigout, 1990
Marins au garde-à-vous devant la goélette.


Gdynia. La promenade s’avance entre le port de plaisance et la rade. Deux grands trimarans, une corvette et quelques chalutiers mouillent. Au large, des bateaux passent en soulevant des embruns d’écume blanche. Des voiliers cherchent le vent. La statue de Joseph Conrad se dresse à l’extrémité de la promenade, tournée vers la mer. Je vais moi aussi m’embarquer sur un grand bateau. Je laisserai derrière moi la vieille Europe et le Transsibérien m’emportera vers l’Asie.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire